Le terme haptique a été proposé en 1892 par le philosophe et médecin Max Dessoir afin de désigner l’étude du toucher par un mot similaire à « optique » ou « acoustique ». Ce mot est issu du grec ἅπτομαι (haptomai) signifiant « je touche ». Il est lié à plusieurs lemmes du grec ancien : ἅπτω, (háptô) qui désigne le toucher, ἁπτός (haptόs) évoquant l’aspect tangible ou palpable, ou encore ἁπτικός (haptikόs) qui décrit la qualité d’être propice au toucher.
L’étude de l’haptique est interdisciplinaire. Par exemple, les biologistes ont identifié les mécanismes sous-jacents de ce sens. Leurs études révèlent que les sensations tactiles sont générées par quatre types de neurones sensoriels appelés mécanorécepteurs, caractérisés par leur taille et leur profondeur variable dans la peau. Cette diversité leur permet de détecter des déformations de la peau de vitesse et d’amplitude variées. D’autres types de capteurs situés dans les muscles, tendons, et articulations perçoivent des sensations de force, ce que l’on appelle la kinesthésie. Ainsi, les sensations haptiques englobent un large éventail de perceptions, incluant les vibrations, les textures, la température, la dureté, le poids et la forme à différentes échelles.
Des psychologues se penchent quant à eux sur la perception, en étudiant par exemple les seuils de perception en fonction de la fréquence et de l’amplitude des signaux mécaniques. Plus généralement, la théorie de la perception écologique de Gibson s’étend au toucher. En effet, cette théorie montre que la perception n’est pas qu’une simple interprétation passive de signaux sensoriels, mais résulte également de l’exploration active de l’environnement par l’individu, influencée donc à la fois par ses sensations et ses mouvements exploratoires. Ainsi, la perception du toucher renvoie aux origines étymologiques de l’haptique qui couvrent à la fois le fait de toucher et de manipuler des objets physiques.
Une fois les mécanismes perceptifs et cognitifs identifiés, des roboticiennes et roboticiens se sont intéressés aux façons de générer des sensations haptiques de manière contrôlée avec des dispositifs haptiques. La conception de ces dispositifs est un compromis délicat entre les sensations haptiques qu’ils peuvent stimuler, leurs caractéristiques telles que l’intensité ou la fréquence, et les propriétés des mouvements de l’utilisateur captées par le dispositif, comme le nombre de dimensions ou la taille de l’espace de travail. Par exemple, des dispositifs à retour de force permettent de toucher des objets virtuels en deux ou trois dimensions, et ainsi sentir leur forme, leur dureté, et même leur poids.
Enfin, les informaticiennes et informaticiens, en particulier spécialistes en Interaction Humain-Machine, s’intéressent à la façon dont les gestes et les sensations haptiques peuvent être utilisés dans des systèmes numériques. Par exemple le retour haptique permet de compléter ou remplacer les informations visuelles pour les personnes ayant des déficiences visuelles, peut être utilisé dans des simulations médicales, ou encore de faire ressentir des objets virtuels sur des surfaces tactiles et en réalité virtuelle.
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Ces technologies sont progressivement intégrées dans des produits grand public. Outre les vibreurs des téléphones mobiles, les contrôleurs de jeux intègrent des vibreurs ou des moteurs pour créer du retour de force. Des effets plus complexes sont également envisageables, comme l’effet « squeeze film » qui crée un coussin d’air entre une surface tactile et le doigt, modifiant ainsi la friction perçue et donc permettant de créer des textures. Il est aussi possible de déplacer de l’air grâce à des matrices d’actuateurs ultrasoniques, stimulant ainsi la peau à distance. Des vestes haptiques similaires à celles décrites dans le roman Ready Player One offrent du retour sur la partie supérieure du corps.
L’haptique représente ainsi à la fois une discipline ancienne et une technologie émergente pleine de promesses.
Thomas Pietrzak, Maître de Conférences HDR, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.