
© EPFL/iStock (quantic69)
Des scientifiques de l’EPFL ont identifié une voie moléculaire qui protège les cellules de l’oxydation des lipides et de la ferroptose, une forme régulée de mort cellulaire impliquée dans le vieillissement et plusieurs maladies.
Nos cellules sont constamment confrontées au stress oxydatif. Ce sous-produit naturel du métabolisme peut endommager l’ADN, les protéines et les lipides. Chaque cellule doit trouver un juste équilibre entre l’utilisation de l’oxygène pour les réactions vitales et la prévention des dommages qu’il peut causer.
Les lipides sont les molécules de graisse qui forment la membrane cellulaire, entre autres structures essentielles. Lorsqu’elles interagissent avec des molécules d’oxygène, elles peuvent subir ce qu’on appelle des «dommages oxydatifs» susceptibles de produire des radicaux toxiques menaçant l’intégrité même de la cellule.
L’oxydation des lipides: utile et dangereuse
Les dommages oxydatifs aux lipides font partie du métabolisme normal, mais une oxydation excessive, qui peut se produire assez rapidement en raison de l’autopropagation, déstabilise les membranes et déclenche la ferroptose. Il s’agit d’une forme de mort cellulaire programmée liée au vieillissement, aux cancers, aux maladies cardiovasculaires, à la neurodégénérescence et à l’inflammation chronique.
Jusqu’à présent, on comprenait mal la façon dont les cellules détectent une telle oxydation des lipides et mettent en place une réponse. Une possibilité est l’existence d’un système d’alerte précoce qui détecte le stress lipidique et active les gènes protecteurs avant que les dommages ne deviennent mortels.
La voie LORD
Laurence Abrami et Francisco Mesquita au sein du laboratoire de la professeure Gisou van der Goot à l’EPFL, viennent d’identifier ce système d’alerte comme étant la voie LORD (Lipid Oxygen Radical Defense).
L’étude, menée en collaboration avec le groupe du professeur Didier Trono à l’EPFL, montre que la voie LORD surveille l’état d’oxydation des lipides cellulaires et active un programme génétique pour prévenir la ferroptose en modifiant la sensibilité des cellules au stress de peroxydation lipidique.
Cette découverte met en lumière une dimension clé de la régulation métabolique et épigénétique qui aide les cellules à maintenir leur intégrité structurale sous stress oxydatif.
«C’est peut-être la plus grande découverte que mon laboratoire ait jamais faite», estime Gisou van der Goot. «C’est un mécanisme par lequel les cellules peuvent détecter l’oxydation des lipides et y réagir afin d’éviter la mort par une voie identifiée il y a une dizaine d’années et appelée ferroptose. Cette voie est réprimée épigénétiquement dans les cellules et déréprimée lors du stress oxydatif. Il pourrait s’agir de la régulation génétique du contrôle de la qualité des lipides dont on soupçonnait l’existence.»
Identification de la voie de signalisation
En combinant l’exploration de données, le profilage épigénomique et l’expression génique ainsi que des tests fonctionnels, les scientifiques ont pu détecter les signes précurseurs de l’oxydation des lipides dans la cellule. Ils ont également vérifié quels gènes sont activés ou désactivés et où se trouvent les principaux régulateurs sur l’ADN.
Cette approche a permis d’identifier plusieurs acteurs clés de la voie LORD: le facteur de transcription ZNF354A, le corépresseur KAP1, l’activateur transcriptionnel ATF2 et l’histone méthyltransférase SETDB1. Dans des conditions normales, ces protéines agissent ensemble pour désactiver les gènes de réponse au stress par l’intermédiaire d’une structure répressive de la chromatine. Mais lorsque la peroxydation lipidique se produit, les signaux de stress déclenchent la phosphorylation de l’ATF2, du KAP1 et du ZNF354A, ce qui désassemble le complexe et augmente la répression sur les gènes protecteurs. Cela active en retour les gènes impliqués dans la réparation des lipides et la défense antioxydante.
L’étude montre que la diminution du ZNF354A rend les cellules plus résistantes, tandis que sa surexpression les rend plus sensibles à l’oxydation des lipides et sujettes à la ferroptose. Elle révèle également comment le contrôle épigénétique empêche l’activation des gènes de défense dans cellules au repos et permet leur activation en cas de stress lipidique.
Implications scientifiques et médicales
Cette découverte met en évidence comment le métabolisme et l’épigénétique s’associent pour maintenir l’homéostasie cellulaire en situation de stress.
D’un point de vue médical, ces résultats permettent de mieux comprendre comment les cellules préservent l’intégrité membranaire, un aspect fondamental de la vie. La ferroptose contribuant à des maladies allant de la neurodégénérescence au cancer, la voie LORD pourrait devenir une cible pour les stratégies thérapeutiques. Les médicaments qui renforcent ces défenses pourraient protéger les tissus contre les dommages oxydatifs, tandis que les inhibiteurs pourraient sensibiliser les cellules cancéreuses aux traitements induisant la ferroptose.
Autres contributeurs
- Nexco Analytics
- Université technologique de Nanyang
FinancementCARIGEST SA
Fonds national suisse de la recherche scientifique
Conseil européen de la recherche (KRABnKAP, Transpos-X)
Fonds national suisse de la recherche scientifique
Fondation Aclon
RéférencesFrancisco S. Mesquita, Laurence Abrami, Romain Forey, Béatrice Kunz, Charlène Raclot, Lucie Bracq, Filipe Martins, Danica Milovanovic, Evarist Planet, Olga Rosspopoff, Didier Trono, F. Gisou van der Goot. Identification of a Lipid Oxygen Radical Defense pathway and its epigenetic control. Nature Communications 11 décembre 2025. DOI: 10.1038/s41467-025-67304-4

