Comment les bactéries du choléra tiennent en échec les virus

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Une équipe de l’EPFL a découvert une souche bien connue de choléra dotée de systèmes immunitaires sophistiqués pour repousser les virus, ce qui a sans doute favorisé une épidémie dévastatrice en Amérique latine.

Quand on pense au choléra, on imagine une eau contaminée et des épidémies tragiques dans des régions vulnérables. En réalité, les bactéries du choléra livrent une guerre microscopique redoutable qui pourrait influer sur le cours des pandémies.

Les bactéries du choléra ne luttent pas seulement contre les antibiotiques et les mesures de santé publique, elles sont aussi constamment attaquées par les bactériophages (phages), autrement dit des virus qui infectent et tuent les bactéries. Non seulement ces virus influencent les infections individuelles, mais ils peuvent aussi créer ou arrêter des épidémies entières. On pense que certains bactériophages limitent l’ampleur et la durée des épidémies de choléra en éradiquant Vibrio cholerae, la bactérie responsable de la maladie.

En cours depuis les années 1960, la 7e pandémie cholérique est due à des souches de V. cholerae appelées «septième pandémie El Tor» (7PET), qui se sont propagées à l’échelle mondiale par vagues successives. Dans cette course à l’armement évolutive, les bactéries se sont adaptées pour riposter, développant des mécanismes de défense contre ces phages. Par exemple, de nombreuses souches bactériennes portent des éléments génétiques mobiles qui les dotent d’outils antiviraux. Pourquoi certaines souches de choléra réussissent-elles si bien à échapper aux attaques de phages? Cela facilite-t-il ou renforce-t-il l’effet dévastateur de l’agent pathogène sur les populations humaines?

Un secret révélé

A ce titre un événement est particulièrement éclairant. Au début des années 1990, une épidémie de choléra a ravagé le Pérou et une grande partie de l’Amérique latine, infectant plus d’un million de personnes et faisant des milliers de victimes. Les souches responsables appartenaient à la lignée ouest-africaine sud-américaine (WASA) de V.cholerae. Jusqu’à présent on ne comprend pas vraiment les raisons pour lesquelles ces souches WASA avaient provoqué une épidémie aussi importante en Amérique latine.

De nouvelles recherches menées par l’équipe de Melanie Blokesch de l’Institut d’infectiologie de l’EPFL révèlent un secret. Publiée dans la revue Nature Microbiology, l’étude montre que la lignée WASA a acquis plusieurs systèmes immunitaires bactériens distincts qui l’ont protégée contre divers types de phages. Et cette défense a peut-être contribué à l’ampleur massive de l’épidémie en Amérique latine.

Les chercheuses et chercheurs se sont penchés sur des souches de choléra péruviennes des années 1990. Ils ont testé leur résistance à des phages clés, en particulier l’ICP1,un virus dominant qui a fait l’objet de nombreuses études dans la zone d’endémie du choléra du Bangladesh, où on pense qu’il contribue à limiter les épidémies de choléra. Étonnamment, les souches péruviennes étaient immunisées contre l’ICP1, alors que d’autres souches représentatives de la 7e pandémie ne l’étaient pas.

Un arsenal de système de défense

En supprimant des sections spécifiques de l’ADN de la souche du choléra et en insérant ces gènes dans d’autres souches bactériennes pour tester leur fonction, l’équipe a identifié deux régions de défense majeures sur le génome de la souche WASA, à savoir le prophage WASA-1 et l’îlot génomique appelé Vibrio septième île pandémique II (VSP-II). Ces régions génomiques codent des systèmes antiphages spécialisés qui travaillent ensemble pour créer un système immunitaire bactérien capable de se défendre contre les infections par phages.

L’un de ces systèmes, le WonAB, déclenche une «infection avortée» qui tue les cellules infectées avant que les phages ne puissent se reproduire, sacrifiant quelques bactéries pour sauver la population plus importante. Cette stratégie est différente de celle des systèmes immunitaires bactériens classiques, tels que les systèmes de restriction-modification qui dégradent l’ADN du phage lorsqu’il pénètre dans les cellules. «Au lieu de cela, il empêche le phage de se répliquer, mais seulement après avoir détourné le mécanisme cellulaire de la bactérie du choléra, bloquant efficacement la bactérie infectée dans une impasse, mais au moins le phage ne se propage pas», explique David Adams, principal auteur de l’étude.

Deux autres systèmes, GrwAB et VcSduA, assurent des fonctions de protection distinctes: GrwAB cible les phages avec de l’ADN chimiquement modifié, une stratégie utilisée par les phages pour camoufler leurs génomes et échapper à d’autres systèmes immunitaires bactériens. VcSduA, quant à lui, agit contre différentes familles de virus, dont un autre «vibriophage» courant, offrant une protection en couches qui élargit le spectre de résistance de la population bactérienne.

En bref, la lignée WASA de bactéries du choléra renferme un arsenal élargi de systèmes de défense antiphages, ce qui lui permet de contrer un large éventail de bactériophages en plus de la protection contre son phage prédateur majeur ICP1.

Une alternative aux traitements antibiotiques

Il est essentiel de comprendre comment les bactéries épidémiques résistent à la prédation par les phages, d’autant plus que l’intérêt pour la phagothérapie – l’utilisation de virus pour traiter les infections bactériennes – apparaît de nouveau comme une alternative au traitement antibiotique. Si des bactéries comme V. cholerae peuvent acquérir un potentiel de transmission accru en obtenant des défenses virales, cela peut modifier notre approche du contrôle, de la surveillance et du traitement du choléra. Cela souligne également l’importance de tenir compte de la dynamique phage-bactérie dans l’étude et la gestion des épidémies de maladies infectieuses.


Financement
 
Conseil européen de la recherche – Consolidator Grant

Fonds national suisse de la recherche scientifique

Bourse internationale HHMI

Financement intra-muros de l’EPFL


Références

David W. Adams, Milena Jaskólska, Alexandre Lemopoulos, Sandrine Stutzmann, Laurie Righi, Loriane Bader, Melanie Blokesch. West African South American pandemic Vibrio cholerae encodes multiple distinct phage defence systems. Nature Microbiology, 22 May 2025. DOI: 10.1038/s41564-025-02004-9


Auteur: Nik Papageorgiou


Source (article original) : EPFL


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