Une nouvelle spectroscopie révèle les secrets quantiques de l’eau

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Pour la première fois, des scientifiques de l’EPFL ont observé les molécules qui participent aux liaisons hydrogène dans l’eau liquide, mesurant des effets quantiques électroniques et nucléaires qui n’étaient auparavant accessibles que par des simulations théoriques.

L’eau est synonyme de vie, mais l’interaction dynamique et multiforme qui réunit les molécules H2O – la liaison hydrogène – reste mystérieuse. Les liaisons hydrogène se forment lors de l’interaction des atomes d’hydrogène et d’oxygène entre molécules d’eau partageant la charge électronique dans le processus. Ce partage de charge est une caractéristique essentielle du réseau tridimensionnel de «liaisons H» qui confère à l’eau liquide ses propriétés uniques. Mais les phénomènes quantiques au cœur de ces réseaux n’ont jusqu’à présent été compris que par des simulations théoriques.

Des scientifiques sous la houlette de Sylvie Roke, responsable du Laboratoire de biophotonique fondamentale de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL, viennent de publier un papier scientifique décrivant une nouvelle méthode – la spectroscopie vibrationnelle corrélée (CVS). Celle-ci leur permet de mesurer le comportement des molécules d’eau lorsqu’elles participent à des réseaux de liaisons H. Surtout, la CVS permet aux scientifiques de faire la distinction entre ces molécules participantes (interactives) et les molécules sans liaisons H (non interactives) distribuées aléatoirement. À titre de comparaison, toute les autres méthodes actuelles/existantes rapporte des mesures sur les deux types de molécules simultanément, ce qui ne permet pas de les distinguer.

La doctorante Eksha Chaudhary et le dispositif CVS © 2024 Jamani Caillet

«Les méthodes de spectroscopie actuelles mesurent la diffusion de la lumière laser causée par les vibrations de toutes les molécules d’un système. Vous devez donc deviner ou supposer que ce que vous voyez est dû à l’interaction moléculaire qui vous intéresse», explique Sylvie Roke. «Avec la CVS, le mode vibrationnel de chaque type de molécule a son propre spectre vibrationnel. Et comme chaque spectre présente un pic unique correspondant aux molécules d’eau qui se déplacent le long des liaisons H, nous pouvons mesurer directement leurs propriétés, telles que la quantité de charge électronique partagée et l’impact sur la force des liaisons H.»

La méthode, qui, selon l’équipe, a un potentiel «transformatif» pour caractériser les interactions dans n’importe quelle matière, a été publiée dans la revue Science.

La possibilité de quantifier directement la force de la liaison H est une méthode performante qui peut être utilisée pour clarifier les détails au niveau moléculaire de toute solution.

Sylvie Roke

Observer sous un nouvel angle

Pour distinguer les molécules qui interagissent des celles qui n’interagissent pas, les scientifiques ont éclairé l’eau liquide avec des impulsions laser femtosecondes (un quadrillionième de seconde) dans le spectre proche infrarouge. Ces rafales de lumière ultra-courtes créent de minuscules oscillations de charge et des déplacements atomiques dans l’eau, qui déclenchent l’émission de lumière visible. Cette lumière émise apparaît dans la lumière diffusée résolue en angle qui renferme des informations clés sur l’organisation spatiale des molécules, tandis que la couleur des photons contient des informations sur les déplacements atomiques à l’intérieur des molécules et entre elles.

Le dispositif de la spectroscopie vibrationnelle corrélée (CVS) © 2024 Jamani Caillet© 2024 EPFL

«Les expériences typiques placent le détecteur spectrographique à un angle de 90 degrés par rapport au faisceau laser entrant, mais nous nous sommes rendu compte que nous pouvions sonder les molécules en interaction simplement en changeant la position du détecteur et en enregistrant les spectres à l’aide de certaines combinaisons de lumière polarisée. De cette manière, nous pouvons créer des spectres distincts pour les molécules qui n’interagissent pas et celles qui interagissent», déclare Sylvie Roke.

L’équipe a mené d’autres expériences visant à utiliser la CVS pour distinguer les effets quantiques électroniques et nucléaires des réseaux de liaisons H, par exemple en modifiant le pH de l’eau par l’ajout d’ions hydroxyde (ce qui la rend plus basique) ou de protons (ce qui la rend plus acide).

«Les ions hydroxyde et les protons participent aux liaisons H, de sorte que la modification du pH de l’eau change sa réactivité», indique Mischa Flór, doctorant et auteur principal de l’article. «Grâce à la CVS, nous pouvons désormais quantifier exactement la charge supplémentaire que les ions hydroxyde donnent aux réseaux de liaisons H (8%) et la charge que les protons en acceptent (4%) – des mesures précises qui n’auraient jamais pu être réalisées expérimentalement auparavant.» Ces valeurs ont été expliquées à l’aide de simulations avancées effectuées par des collaborateurs basés en France, en Italie et au Royaume-Uni.

Les scientifiques soulignent que la méthode, qu’ils ont également corroborée par des calculs théoriques, peut être appliquée à n’importe quelle matière, et plusieurs nouvelles expériences de caractérisation sont déjà en cours.

«La possibilité de quantifier directement la force de la liaison H est une méthode performante qui peut être utilisée pour clarifier les détails au niveau moléculaire de toute solution, par exemple contenant des électrolytes, des sucres, des acides aminés, de l’ADN ou des protéines», précise Sylvie Roke. «Comme la CVS ne se limite pas à l’eau, elle peut également fournir une mine d’informations sur d’autres liquides, systèmes et processus.»

RéférencesMischa Flór et al, Dissecting the hydrogen bond network of water: Charge transfer and nuclear quantum effects.Science0,eads4369DOI:10.1126/science.ads4369

Auteur: Celia Luterbacher


Source (article original) : EPFL


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