Dans l’intention de préparer une crème anglaise ou, plus rarement de nos jours, de stériliser du lait cru acheté directement à la ferme, vous avez mis du lait à chauffer sur le feu, et quelques minutes d’inattention plus tard, c’est le drame : la moitié du liquide a quitté la casserole et s’est répandu sur le fourneau, avec un « psssshhhhh » qui n’a pas manqué d’avertir vos oreilles, doublé d’une odeur de brûlé caractéristique, annonciatrice des longues minutes qu’il va falloir maintenant passer à gratter pour nettoyer tout ça. Pourtant, vous le saviez, que le lait est particulièrement sournois : l’expression « à surveiller comme du lait sur le feu » a bien une origine. Mais les faits sont là : vous vous êtes encore fait avoir, et ça ne sera pas la dernière fois.
Mais au fait, pourquoi cette tendance au débordement, alors qu’une casserole d’eau ne posera jamais de problème (tout au plus fera-t-elle s’agiter le couvercle et générera quelques éclaboussures lors d’une ébullition particulièrement poussée) ? Tout simplement du fait de la composition particulière du lait, qui au-delà de ses 90 % d’eau, contient 10 % de substances diverses dont certaines lui confèrent un pouvoir moussant. Car oui, pour que ça déborde, il faut non seulement des bulles (ce que fait l’ébullition, y compris dans la casserole d’eau), mais surtout que celles-ci soient stables, autrement dit forment ce qu’on appelle une mousse.
Pour ça, la présence d’un « tensioactif » est nécessaire, à savoir une molécule qui aime se positionner à l’interface entre l’air et l’eau, permettant ainsi de stabiliser les bulles dans le liquide. Qui joue donc ce rôle dans le lait ? Principalement les protéines, qui du fait de leur composition en acides aminés dont certains sont hydrophiles (c’est à qui dire qui aime l’eau) et d’autres hydrophobes (qui « fuient » l’eau), vont venir se positionner autour des bulles de vapeur d’eau créées par l’ébullition.
Mais il y a pire, car ces protéines ne se contentent pas seulement de faire mousser le lait (ce qui est une bonne chose quand on pense au cappuccino) mais elles peuvent également coaguler, formant une couche solide à la surface du lait : c’est la fameuse « peau » (épaissie par les globules gras du lait qui remontent eux aussi à la surface, poussée d’Archimède oblige). Cette couche, qui empêche les bulles d’éclater et se vider de leur gaz, va être petit à petit poussée vers le haut de la casserole… et pshhhhhhhhhh…
Les cuisiniers avertis remarqueront qu’il arrive peu ou prou la même chose quand on fait cuire des pâtes ; l’eau, qui ne mousse jamais « seule », se met ici aussi à déborder bruyamment sur le fourneau. La cause ? L’amidon des pâtes, qui bien qu’étant un glucide et non une protéine, va entraîner un effet un peu similaire en créant une fine couche gélatinisée à la surface du liquide, couche poussée par les bulles de vapeur jusqu’à ce que… pshhhhhhhhhhh…
Comment éviter ces accidents ? D’abord, évidemment, en surveillant la cuisson (du lait, des pâtes, etc.) pour retirer à temps la casserole du feu. Ensuite, il existe des astuces pour gagner (un peu) en tranquillité : en premier lieu, rien ne sert de mettre le feu « à fond » pour aller plus vite : une ébullition modérée sera amplement suffisante pour chauffer le lait et laissera plus d’opportunité aux bulles d’éclater au fur et à mesure de leur formation, ce d’autant plus qu’on aura pris soin de choisir une casserole d’un grand volume (par rapport au volume du liquide).
Après, certains préconisent de poser une cuillère en bois sur la casserole pour « casser » la mousse et/ou la peau qui atteignent le haut. Si cette astuce permet en effet parfois de limiter les dégâts, elle ne constitue en rien une garantie suffisante pour se permettre d’aller bouquiner pendant la cuisson du lait. Enfin, il existe un ustensile fort justement nommé « anti-monte-lait ». Il s’agit tout simplement d’une coupelle un peu lourde (en métal ou en porcelaine) qui reste au fond de la casserole : les (petites) bulles qui se forment vont alors être piégées sous la coupelle, et se rassembler en une grosse bulle jusqu’à ce que celle-ci soit de taille suffisante pour soulever la coupelle et être libérée vers la surface. L’avantage ? Il est double, car non seulement les grosses bulles, plus instables que les petites, éclatent facilement et ne forment pas de mousse, mais elles ont aussi une « force » suffisante pour casser en partie la peau. Troisième avantage : en se soulevant puis retombant en permanence, le disque fait du bruit… qui vous avertit qu’il serait bon de venir un peu surveiller ce qui se passe !
Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.