Des scientifiques de l’EPFL, à travers le projet VELOCE, ont pu mesurer avec une précision sans précédent la vitesse des céphéides, ces «chandelles standard» qui permettent de mesurer la taille de l’Univers.
Les «céphéides classiques» sont un type d’étoile pulsante dont la luminosité diminue et augmente de façon rythmée au fil du temps. Leurs pulsations permettent aux astronomes de mesurer de grandes distances dans l’Espace, ce qui fait des céphéides des «chandelles standard» indispensables pour comprendre la taille et l’échelle de notre Univers.
Malgré leur importance, l’étude des céphéides relève d’un défi. Leurs pulsations et leurs interactions potentielles avec des étoiles voisines créent des modèles complexes difficiles à mesurer avec précision. Les divers instruments et méthodes utilisés au fil des ans ont fourni des données incohérentes, ce qui complique notre compréhension de ces étoiles.
«Le suivi des pulsations des Céphéides par vélocimétrie haute définition nous permet de mieux comprendre la structure de ces étoiles et leur évolution», explique Richard I. Anderson, astrophysicien à l’EPFL. «En particulier, les mesures de la vitesse de dilatation et de contraction des étoiles sur la ligne de visée, appelées vitesses radiales, sont un complément essentiel aux mesures précises de la luminosité depuis l’Espace. Mais il est urgent d’avoir des vitesses radiales de grande qualité, car leur collecte est coûteuse et peu d’instruments sont capables de le faire.»
Le projet VELOCE
Richard I. Anderson a dirigé une équipe de scientifiques pour faire cette tâche dans le cadre du projet VELOcities of CEpheids (VELOCE). Pendant 12 ans, entre 2010 et 2022, cette vaste collaboration a permis de recueillir plus de 18 000 mesures de grande précision de 258 vitesses radiales de céphéides à l’aide de spectrographes sophistiqués. «Cet ensemble de données servira de point d’ancrage pour relier les observations de céphéides réalisées depuis différents télescopes au fil des ans et, avec un peu de chance, inspirera d’autres études à la communauté.»
VELOCE est le résultat d’une collaboration entre l’EPFL, l’Université de Genève et la KU Leuven. Ce projet s’appuie sur les observations réalisées depuis le télescope suisse Leonhard-Euler au Chili et le télescope flamand Mercator situé sur l’île de La Palma. Richard I. Anderson a commencé le projet VELOCE pendant son doctorat à l’Université de Genève, et l’a poursuivi en tant que postdoctorant aux États-Unis et en Allemagne avant de le terminer à l’EPFL. Giordano Viviani, doctorant de Richard I. Anderson, a contribué à la diffusion des données de VELOCE.
Il est important de comprendre la nature et la physique des céphéides car elles nous renseignent sur l’évolution des étoiles en général et nous permettent de déterminer les distances et la vitesse d’expansion de l’Univers.
Percer les mystères des céphéides avec une précision de pointe
«La précision exceptionnelle et la stabilité des mesures à long terme ont permis d’obtenir des informations intéressantes sur les pulsations des céphéides», déclare Giordano Viviani. «Les pulsations entraînent des changements de la vitesse de la ligne de visée pouvant aller jusqu’à 70 km/s, soit environ 250 000 km/h. Nous avons mesuré ces variations avec une précision type de 130 km/h (37 m/s) et, dans certains cas, avec une précision de 7 km/h (2 m/s), ce qui correspond à peu près à la vitesse à laquelle un être humain est capable de marcher rapidement.»
Afin d’obtenir des mesures aussi précises, les chercheuses et chercheurs du projet VELOCE ont eu recours à deux spectrographes de haute résolution, qui séparent et mesurent les longueurs d’onde du rayonnement électromagnétique: HERMES dans l’hémisphère nord et CORALIE dans l’hémisphère sud. En dehors de VELOCE, CORALIE est réputé pour la recherche d’exoplanètes et HERMES est un élément incontournable de l’astrophysique stellaire.
Les deux spectrographes ont détecté de minuscules changements dans la lumière des céphéides, indiquant leurs mouvements. Les chercheuses et chercheurs ont utilisé des techniques modernes pour garantir la stabilité et la précision de leurs mesures, en corrigeant les dérives instrumentales et les changements atmosphériques. «Nous mesurons les vitesses radiales à l’aide de l’effet Doppler», explique Richard I. Anderson. «C’est le même effet que celui utilisé par les forces de police pour mesurer votre vitesse, et aussi l’effet que vous connaissez lorsqu’une ambulance change de tonalité en s’approchant ou en s’éloignant de vous.»
L’étrange danse des céphéides
Le projet VELOCE a permis de dévoiler plusieurs détails fascinants sur les céphéides. Par exemple, les données de VELOCE fournissent l’aperçu le plus détaillé à ce jour de la progression de Hertzsprung – un modèle de pulsations des étoiles – indiquant des bosses à double pic inconnues jusqu’à présent et qui apporteront des éléments pour mieux comprendre la structure des céphéides par rapport aux modèles théoriques d’étoiles pulsantes.
L’équipe a découvert que plusieurs céphéides présentent une variabilité complexe et modulée dans leurs mouvements. Cela signifie que les vitesses radiales des étoiles changent d’une manière qui ne peut pas être expliquée par des modèles de pulsations simples et réguliers. Autrement dit, alors que l’on s’attendrait à ce que les céphéides pulsent selon un rythme prévisible, les données de VELOCE révèlent d’autres variations inattendues dans ces mouvements.
Ces variations ne sont pas cohérentes avec les modèles théoriques de pulsation traditionnellement utilisés pour décrire les céphéides. «Cela indique qu’il se produit des processus plus complexes au sein de ces étoiles, comme des interactions entre les différentes couches de l’étoile, ou des signaux de pulsation supplémentaires (non radiaux) qui pourraient permettre de déterminer la structure des céphéides par astérosismologie», révèle Henryka Netzel, postoctorante de Richard I. Anderson. Les premières détections de tels signaux basées sur VELOCE sont rapportées dans un article complémentaire (Netzel et al. sous presse).
Systèmes binaires
L’étude a également permis d’identifier 77 céphéides qui font partie de systèmes binaires (deux étoiles en orbite l’une autour de l’autre) et de trouver 14 autres candidats. Un article complémentaire rédigé par Shreeya Shetye, ancienne postdoctorante de Richard I. Anderson, décrit ces systèmes en détail, ce qui permet de mieux comprendre l’évolution de ces étoiles et leur interaction les unes avec les autres. «Nous constatons qu’environ une céphéide sur trois possède une étoile invisible dont la présence peut être déterminée par l’effet Doppler», précise Shreeya Shetye.
«Il est important de comprendre la nature et la physique des céphéides car elles nous renseignent sur l’évolution des étoiles en général et nous permettent de déterminer les distances et la vitesse d’expansion de l’Univers», ajoute Richard I. Anderson. «VELOCE fournit également les meilleurs recoupements disponibles pour des mesures similaires, mais moins précises, de la mission Gaia de l’ESA, qui effectuera à terme le plus grand relevé de mesures de vitesse radiale des céphéides.»
Autres contributeurs
- Institut Ruder Bošković
- Centre d’astrophysique de Harvard-Smithsonian
- Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV)
- Université de Lausanne (UNIL)
- Institut Max Planck de physique extraterrestre
- Université de Lund
- Université Eberhard Karl
- Université de Liège
- Observatoire européen austral (ESO)
- Université Tufts
- Université de Stanford
- Universidade do Porto
RéférencesRichard I. Anderson, Giordano Viviani, Shreeya S. Shetye, Nami Mowlavi, Laurent Eyer, Lovro Palaversa, Berry Holl, Sergi Blanco-Cuaresma, Kateryna Kravchenko, Michał Pawlak, Mauricio Cruz Reyes, Saniya Khan, Henryka E. Netzel, Lisa Löbling, Péter I. Pápics, Andreas Postel, Maroussia Roelens, Zoi T. Spetsieri, Anne Thoul, Jiří Zák, Vivien Bonvin, David V. Martin, Martin Millon, Sophie Saesen, Aurélien Wyttenbach, Pedro Figueira, Maxime Marmier, Saskia Prins, Gert Raskin, Hans van Winckel. VELOcities of CEpheids (VELOCE) I. High-precision radial velocities of Cepheids. Astronomy & Astrophysics 14 juin 2024. DOI: 10.1051/0004-6361/202348400