J’ai toujours été fascinée par la génétique, une branche de la biologie qui permet à la fois d’expliquer la ressemblance frappante entre différents membres d’une famille et le fait que des plants de fraises résistent au gel. C’est assez impressionnant !
J’ai aussi un lien assez personnel avec la génétique. J’ai appris, en grandissant, que des membres de ma famille étaient atteints de dysferlinopathie, une dystrophie musculaire. J’ai vu ma mère ne plus pouvoir monter d’escalier et devoir utiliser une canne, une marchette, puis un fauteuil roulant pour se déplacer. Ses muscles des jambes arrivaient de moins en moins à se réparer et devenaient de plus en plus faibles.
Mes parents m’ont expliqué que tous ces changements étaient dus à une erreur d’une seule lettre dans une immense séquence d’ADN, elle constituée de milliards de lettres. Cette erreur empêche la fabrication de la protéine responsable de la réparation des muscles des bras et des jambes.
Aujourd’hui, je suis étudiante chercheuse au doctorat en médecine moléculaire et j’étudie le traitement des maladies héréditaires pour pouvoir aider des familles comme la mienne. Dans cet article, je propose de démystifier les maladies héréditaires et ce qui est fait en recherche pour les traiter.
C’est du gâteau ? Pas tout à fait
Imaginons l’ADN comme un livre de recettes, où chaque gène représente une recette différente. À la page de la recette de gâteau au chocolat, il y a une belle image, mais il manque certaines informations. Il y est bien indiqué de préchauffer le four et de mesurer de la farine, mais le reste de la page est déchiré. Il est donc impossible de confectionner ce gâteau. On servira alors un festin composé de toutes les autres recettes, mais sans gâteau au chocolat, qui a pourtant une importance bien particulière.
C’est la même chose pour les maladies héréditaires. Le corps peut fabriquer toutes les protéines dont il a besoin, sauf une. Dans le cas de la dystrophie musculaire qui affecte ma famille, c’est celle qui répare les muscles des bras et des jambes dont la recette est manquante. Chaque maladie héréditaire a sa propre page endommagée dans son livre de recettes.
Plus concrètement, une erreur dans l’ADN s’appelle une mutation. Il en existe différents types. Certaines sont causées par l’ajout de lettres, comme si on ajoutait un ingrédient à la recette. Cette addition peut mener à un délicieux gâteau au chocolat avec des fraises ou alors à un gâteau qui n’est plus comestible, car on y a ajouté de l’huile à moteur.
D’autres mutations sont causées par le retrait (ou délétion) d’une ou plusieurs lettres (ou ingrédients), ou alors par des substitutions qui remplacent une lettre par une autre. Toutes ces modifications peuvent mener à des changements favorables ou sans impact, comme l’apparition des premiers yeux bleus dans l’évolution ou l’habileté de respirer hors de l’eau. Mais elles peuvent également causer des changements défavorables, comme une maladie héréditaire ou un cancer.
Réparer l’ADN
Dès mon jeune âge, je comprenais que ma mère était malade en raison d’une erreur dans son gène, mais que je ne développerai pas la maladie, car mon père n’a pas d’erreur dans le sien. C’est ce qu’on appelle une maladie récessive, puisqu’elle nécessite une erreur dans le gène de chacun des deux parents pour se manifester. D’autres maladies héréditaires sont dominantes, ce qui veut dire qu’une mutation dans l’ADN transmis par un seul parent est suffisante pour nuire à la production d’une protéine.
Dans le cadre de mes recherches, j’observe la séquence d’ADN de chaque patient atteint de dysferlinopathie pour voir où se trouve l’erreur.
Pour tenter de la corriger, j’utilise le Prime editing, une technique qui permet de couper l’ADN près de la mutation et de réécrire la séquence correctement. Le Prime editing est une version de CRISPR-Cas9, une technique qui permet de couper l’ADN à un endroit particulier.
Le Prime editing utilise une protéine appelée Cas9, qui se retrouve naturellement chez les bactéries. Elle leur permet de détruire la séquence d’ADN des virus qui pourraient les infecter. La mission de la protéine Cas9 est de reconnaître une séquence et de la couper.
Lorsqu’on l’utilise dans nos cellules humaines, on l’attache à une autre protéine, qui va réécrire l’ADN à partir d’un modèle. On lui fournira donc une séquence sans erreur pour que la cellule puisse ensuite fabriquer la protéine. C’est un peu comme retrouver la page originale du livre de recettes, pour enfin pouvoir servir le gâteau au chocolat.
Un pas dans la bonne direction
Pourquoi n’avons-nous donc pas entendu parler de Prime editing, s’il peut traiter diverses maladies ? Parce que la technique n’est pas encore tout à fait au point. En fait, nous arrivons à réparer l’ADN directement dans des cellules en laboratoire, mais il nous manque un moyen d’acheminer les deux grosses protéines (Cas9 et celle qui réécrit) jusqu’aux cellules à traiter (par exemple, jusqu’au centre des muscles touchés).
En d’autres termes, nous avons retrouvé la recette de gâteau, mais son format est trop volumineux pour entrer dans un courriel ou dans une enveloppe. De nombreux laboratoires, dont le mien, sont à la recherche d’un véhicule de livraison efficace et sécuritaire.
Camille Bouchard, Étudiante au doctorat en médecine moléculaire (correction génétique de maladies héréditaires), Université Laval
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.