Depuis que les fossiles humains sont étudiés, les chercheurs s’intéressent à ce qui se cache dans leur boite crânienne. Le cerveau en effet a son importance, puisqu’il est lié aux capacités cognitives. Pourtant, son étude est rendue difficile pour les humains du passé car le cerveau ne résiste pas aux épreuves du temps : nous n’avons jamais retrouvé d’encéphale fossile. Les tissus les plus mous ne sont en effet jamais conservés, au contraire des restes osseux qui se transforment lors de la fossilisation. Heureusement, le cerveau laisse sur la surface interne du crâne des empreintes que les scientifiques étudient pour discuter de l’évolution du cerveau humain. Pour ce faire, nous tombons parfois sur un moulage interne naturel formé par du sédiment (c’est le cas par exemple pour l’australopithèque de Taung).
Depuis le milieu du XIXe siècle, des techniques de moulage sont aussi utilisées pour obtenir un objet en 3D de la surface endocrânienne. Enfin, depuis quelques dizaines d’années, nous utilisons des méthodes d’imagerie de plus en plus performantes pour reconstituer en 3D virtuelle ce volume, qui peut ensuite être imprimé physiquement par prototypage. Au Muséum national d’histoire naturelle, nous disposons de micro-tomographes qui nous permettent d’obtenir des images scanners de très haute résolution à partir desquelles nous reconstruisons toutes les structures cachées dans les fossiles, dont l’endocrâne.
C’est ainsi que nous pouvons observer les fins détails de la surface interne du crâne et tenter d’interpréter les caractéristiques du cerveau qu’ils reflètent. En effet les empreintes visibles pourraient correspondre aux circonvolutions sillonnant la surface du cerveau et marquant les limites entre les différentes régions cérébrales. L’objectif est de situer où se trouvent les grandes parties du cerveau, comme les lobes frontaux, pariétaux, temporaux ou occipitaux. Il s’agit aussi de localiser des zones spécifiques impliquées dans le comportement, et si possible de les observer les mesurer.
Les crânes fossiles nous renseignent-ils sur le cerveau ?
Mais les chercheurs s’interrogent sur la fiabilité de leurs déterminations et sur le lien réel entre endocrâne et cerveau. Jamais encore il n’avait été possible de vérifier si ce qui est observé sur l’endocrâne correspond précisément aux sillons visibles sur le cerveau.
Nous nous sommes ainsi pour ce travail publié aujourd’hui posé quelques questions fondamentales et avons tenté d’y répondre. Les empreintes qui tapissent l’intérieur d’une boite crânienne peuvent-elles révéler avec fiabilité l’anatomie du cerveau qu’elle contient ? L’étude des crânes fossiles peut-elle ainsi nous éclairer sur certaines capacités de nos ancêtres ? Autrement dit, une « paléoneurologie » fiable est-elle possible ?
Pour les besoins de cette étude, réalisée dans le cadre du projet ANR PaleoBRAIN, nous avons combiné les compétences de chercheurs de différents domaines. Nous avons utilisé des données IRM particulières obtenues sur un volontaire. Ces acquisitions ont été effectuées à l’Institut du Cerveau (ICM). L’originalité est que nous disposions ainsi de plusieurs séquences d’imagerie différentes, dont une classique pour reconstruction le cerveau, mais aussi une autre moins fréquemment usitée qui permet d’imager l’os. C’est grâce à cette dernière que nous avons reconstitué l’endocrâne de notre volontaire, pour lequel nous avions donc aussi des données précises pour son cerveau.
Grâce à des outils informatiques développés dans le domaine des neurosciences par l’équipe Baobab du centre de recherche Neurospin, nous avons pu effectuer des analyses comparatives des modèles d’endocrâne et de cerveau.
14 experts testés
Enfin et surtout, le cœur de l’étude a été de mettre à l’épreuve 14 experts internationaux de domaines variés étudiant l’évolution du cerveau (paléontologues, neurologues et primatologues) et travaillant régulièrement sur les endocrânes. Nous leur avons demandé à partir de l’image de l’endocrâne de positionner les principaux sillons qu’ils ont l’habitude d’observer lors de leur recherche. Puisque nous disposions non seulement de la forme de l’endocrâne mais aussi de celle du cerveau, nous pouvions ensuite vérifier la précision des déterminations effectuées à l’aveugle.
Ainsi, la correspondance réelle entre les positions des sillons du cerveau et les marques visibles sur l’endocrâne était disponible, alors que les experts travaillaient « à l’aveugle », comme ils sont contraints de le faire sur les endocrânes fossiles. La participation d’autant de spécialistes est très positive et illustre combien nous cherchons à améliorer la qualité de nos recherches, puisqu’en participant nous prenions le risque de constater que ce qui nous décrivions n’était pas juste !
Les résultats révèlent quelques surprises, et heureusement ouvrent de belles pistes pour le futur des recherches sur l’évolution du cerveau humain. De nettes différences ont été observées entre les identifications proposées par les experts et les sillons du cerveau réel. Certaines marques, correctement repérées, ont notamment été associées à un mauvais sillon. Ce résultat illustre qu’essayer de reconstruire un sillon cérébral suivant la forme/position générale connue dans la documentation scientifique ou à partir d’un individu moyen induit un biais lorsque l’on regarde un endocrâne et tente de suivre les marques qui y sont observées. En effet, la morphologie du cerveau est extrêmement variable, celle de l’endocrâne l’est donc aussi !
Nous observons aussi que l’identification des sillons est meilleure dans la partie inférieure de l’endocrâne que dans la partie supérieure. Ceci est lié au mode de formation du crâne et du cerveau durant notre croissance. L’un et l’autre grandissent en parallèle, influant sur leur morphologie respective. De par notre position verticale, debout, le contact entre le cerveau et le crâne est plus rapproché vers le bas de notre tête que vers le haut, ou cerveau et crâne sont séparés par un espace un peu plus grand.
Certains résultats concernant des traits anatomiques spécifiques ont des implications sur des sujets débattus en paléoanthropologie et devront être analysés sur plus d’individus par la suite. En effet, le sillon central qui sépare les lobes frontaux et pariétaux n’a pas été bien localisé par la plupart des scientifiques.
Mieux lire le cerveau de nos ancêtres préhistoriques
D’où l’importance de ce projet que nous poursuivons sur de très nombreux volontaires. L’objectif sera de caractériser la position réelle des principaux sillons sur des endocrânes, puisque nous disposons aussi des cerveaux correspondants. Il sera aussi possible de clarifier ce que nous pouvons observer avec précision sur un endocrâne.
Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives. La description endocrânienne des spécimens fossiles devra à l’avenir prendre en compte la variation de position et de forme des sillons en plus d’utiliser des modèles de forme moyenne du cerveau. De plus, il ressort clairement de la présente étude que les chercheurs peuvent percevoir les empreintes des sillons avec une précision raisonnablement élevée, mais leur identification et leur attribution correctes restent un défi, en particulier lorsqu’il s’agit d’espèces disparues pour lesquelles nous manquons de connaissance directe du cerveau. Il nous reste donc beaucoup de travail à faire pour savoir bien lire le cerveau de nos ancêtres préhistoriques.
La prochaine étape, que nous sommes en train de réaliser, va être d’étudier le détail de la relation entre l’endocrâne et le cerveau sur de nombreux individus. Cela va nous permettre de savoir ou se situent les principaux sillons sur un endocrâne, quelles parties de ces empreintes nous pouvons espérer observer avec précision, ce qui nous permettra enfin de mieux décrypter les traits présents sur les endocrânes de spécimens fossiles à partir d’informations objectives, solides et justes.
Le projet PaleoBRAIN est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.