L’ARN messager (ARNm) a fait la une médias avec l’élaboration de vaccins anti-Covid d’une très grande efficacité en des temps records.
Mais pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut rebrousser chemin et revenir à la genèse de cette découverte fascinante qui est longtemps restée à l’écart.
Dans les années 1980-90 des chercheurs ont ainsi eu l’intuition que l’administration locale d’un ARNm pouvait être d’une grande utilité en cancérologie et en immunologie en induisant de façon ponctuelle la production d’une protéine active ou immunogène, et donc une réponse immunitaire, le principe de base de la vaccination.
Il est possible de faire rentrer ce type de molécule dans nos cellules, tout comme les séquences d’ADN (acide désoxyribonucléique) mais à l’inverse de ce dernier l’ARNm ne peut pas rentrer dans le noyau où réside le matériel génétique. De plus, l’ARNm est détruit rapidement dans la cellule – ce qui par ailleurs est une garantie pour un vaccin.
De nombreuses tentatives avaient été faites, mais la réponse inflammatoire était beaucoup trop forte.
De nombreux laboratoires, y compris parmi les plus prestigieux, n’ont donc plus porté beaucoup d’attention à l’utilisation de l’ARNm, molécule très fragile, préférant développer les techniques fondées sur l’emploi de séquences d’ADN.
Katalin Kariko, la pionnière de l’ARNm
Des chercheurs isolés, sans beaucoup de moyens, se sont pourtant attelés à la tâche. C’est le cas de Katalin Kariko qui a débuté ses recherches sur l’ARNm en Hongrie jusqu’en 1985, puis a émigré aux États-Unis à l’âge de 30 ans. Elle a continué ses recherches à l’Université de Pennsylvanie, mais ses travaux intéressaient peu de monde et elle a eu beaucoup de difficultés pour trouver des financements. Par contre, elle avait une totale confiance en elle-même, en ses projets.
Pour simplifier, ceux-ci tiennent en une idée. Puisque l’ARNm est trop immunogène, alors pourquoi ne pas le modifier chimiquement afin de diminuer son impact inflammatoire tout en préservant une bonne traduction en protéines. Katalin Kariko a sélectionné un certain nombre de modifications chimiques en privilégiant celles qui touchent les bases nucléotidiques (les briques essentielles de l’ARN) et en respectant leur appariement par liaisons hydrogène.
Ces liaisons intermoléculaires sont en effet essentielles à la traduction de l’ARNm en protéines, ainsi d’ailleurs qu’à la transcription de l’ADN en ARN. Un des collègues de Katalin Kariko, l’Américain Drew Weissman, élève d’Antony Fauci (l’actuel conseiller Covid de la Maison Blanche) l’a beaucoup encouragé et aidé dans cette voie. Après de nombreuses années de persévérance, ils ont découvert que le remplacement de l’uridine phosphate, l’un des nucléotides de l’ARNm, par une pseudouridine, (un atome d’azote est remplacé par un atome de carbone et vice-versa) donnait des résultats extraordinaires en termes de stabilité et de capacité de traduction de l’ARNm en protéines.
Un brevet a été déposé en 2005 par l’Université de Pennsylvanie en ce sens. L’avantage de la pseudouridine vient du fait qu’elle est moins fragile que le nucléoside « naturel ». C’est le cas aussi de la pseudothymidine. Dans tous ces cas, les liaisons hydrogène avec l’adénosine sont préservées, permettant de comprendre à l’échelle moléculaire l’exaltation du pouvoir vaccinal de l’ARNm.
Dans les années qui ont suivi cette découverte fondatrice, nombreux ont été les chercheurs à suivre les travaux de Kariko et Weissman, qui ouvraient de vraies perspectives médicales. Le brevet de l’université de Pennsylvanie a d’ailleurs été racheté par une Biotech américaine, aujourd’hui Cellscript, privant Kariko et Weissman de tous droits.
La licence du brevet a ensuite été achetée en 2010 par la start-up Moderna dont le PDG est aujourd’hui le Français Stéphane Bancel. Pour la petite histoire MODeRNA signifie Modified RNA, ce qui montre à la fois l’objectif de la start-up et le rôle essentiel de la modification chimique de la molécule d’ARN (RNA en anglais). Katalin Kariko a, quant à elle, collaboré avec les médecins Ugur Sahin et Ozlem Tureci, d’origine turque, créateurs de la start-up BioNTech en Allemagne. Vice-Présidente de cette start-up, elle participe notamment aux travaux sur l’efficacité de vaccins à base d’ARNm sur des animaux au sujet des virus Zika, grippe ou Sida.
Lorsque le virus de la Covid-19 a été connu, Moderna et BioNtech étaient tout à fait bien préparés, sûrs d’eux-mêmes, pour lancer leurs études, dès le mois de janvier 2020.
BioNTech s’est alors allié à Pfizer pour augmenter sa capacité de production industrielle.
Comment sont réalisés les vaccins à ARNm
On sait que la protéine Spike (protéine S) composée de 1273 acides aminés et ancrée dans l’enveloppe externe du SARS-CoV-2 contient des motifs impliqués dans l’interaction avec le récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE2) présent à la surface des cellules cibles, permettant la fusion du virus avec la cellule-hôte, puis sa réplication, provoquant la Covid-19. La protéine S s’avère donc le choix de prédilection pour combattre le SARS-CoV-2.
La séquence nucléotidique du génome de SARS-CoV-2 (virus à ARN) ayant été précocement établie (fin 2019) et compte tenu des connaissances antérieures acquises sur les coronavirus, il a été aisé d’identifier la partie du gène codant pour la protéine S puis d’en isoler une réplique ADN, pour servir de matrice à la production à grande échelle d’ARNm.
Ainsi à partir de cet ADN, on a pu produire par transcription in vitro l’ARN en remplaçant dans le milieu réactionnel l’uridine triphosphate par la pseudouridine triphosphate, l’enchaînement nucléotidique se faisant grâce à une enzyme, l’ARN polymérase. Cette transcription en dehors de la cellule est facilitée et permet d’éviter tout risque de contamination par un éventuel agent infectieux intracellulaire. Une coiffe et une queue (polyadénosine) complètent la séquence de l’ARNm codant la protéine S car ces structures permettent l’accès de l’ARNm aux ribosomes, c’est-à-dire à la machinerie cellulaire de production des protéines.
Cet ARNm est finalement encapsulé dans des nanoparticules lipidiques chargées positivement afin de renforcer sa stabilité, et de faciliter sa pénétration à travers la membrane (chargée négativement) des cellules du muscle où on l’injecte à très faible dose. Une fois dans le cytoplasme au niveau des ribosomes, l’ARNm code la synthèse des protéines virales S. Celles-ci migrent à la surface cellulaire et sont reconnues par des lymphocytes B qui produisent des anticorps anti-Covid. D’autres fragments de Spike sont digérés par des cellules dendritiques (dites présentatrices d’antigènes). Ces cellules présentent ces fragments de Spike aux lymphocytes T, garants de la mémoire immunitaire.
Des exemples à suivre
La modification chimique de l’ARNm est l’une des clés qui a ouvert la porte aux vaccins. Ce sera probablement aussi l’une des clés pour lutter contre certains cancers.
Il existe donc de merveilleuses histoires de découvertes scientifiques majeures, qui ont changé la face du monde. Une autre m’avait ébloui il y a quelques années en voyant le film de Luc Jacquet, la Glace et le Ciel à propos de l’épopée de Claude Lorius (premier français à recevoir le prix Planète bleue). Celui-ci est à l’origine de la découverte majeure suivante : le taux de CO2 a été relativement stable pendant 800 000 ans puis a connu une hausse spectaculaire depuis la fin du XIXe siècle, reliée à la température.
On le pressentait depuis 1896 lorsque Arrhénius, prix Nobel de chimie, l’avait prévu par le calcul. Mais la démonstration expérimentale a définitivement changé, au plus haut niveau, notre vision du monde. La portée mondiale de la COP21 de Paris en 2015 en est une illustration récente. Les rapports du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) sont lus chaque année avec attention par tous les décideurs politiques et de nombreuses ONG.
Si j’ai relié ces deux belles histoires de Claude Lorius et de Katalin Kariko, c’est qu’elles apportent toutes les deux une avancée scientifique majeure pour l’humanité et qu’elles concernent des chercheurs rigoureux, humbles, soucieux de vraies avancées scientifiques, ne se précipitant pas forcément dans les sentiers battus. Ce sont des exemples pour les jeunes, les étudiants, les doctorants et les chercheurs. Tous, sans qu’ils en soient bien conscients, peuvent être amenés, avec un peu de chance, de par leur persévérance et leur esprit scientifique, à faire des découvertes d’une portée considérable.
Jacques Augé, Professeur des universités en chimie, CY Cergy Paris Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.