Le 8 février 1922, Walther Gerlach envoie à son ami Niels Bohr cette carte postale accompagnée du message suivant : « Voici la preuve expérimentale de la quantification directionnelle. Nous vous félicitons pour la confirmation de votre théorie ». Sur cette carte postale, nous pouvons voir deux plaques sur lesquelles sont déposés des atomes d’argents – ce sont les taches sombres.
Ces résultats proviennent de l’expérience de Stern et Gerlach, menée en 1922 à Francfort en Allemagne.
Dans cette expérience, des atomes d’argent sont éjectés d’un four, envoyés à travers un champ magnétique variable, puis déposés sur une plaque. Sur la plaque de gauche, la trace forme une ligne uniformément recouverte d’atomes d’argent et correspond au cas où le champ est désactivé. Sur la droite, la trace laissée par les atomes d’argent forme deux lignes courbées entourant une zone non atteinte par les atomes d’argent et correspond au cas où un fort champ magnétique est présent.
En comparant les deux plaques, les auteurs en concluent qu’en présence de ce champ magnétique, les particules subissent une force qui les dévie de leur trajectoire.
Test de l’hypothèse de Bohr
Au moment de développer cette expérience, Walther Stern espère avant tout discréditer le récent modèle de l’atome de Bohr. Niels Bohr part de l’hypothèse que dans les atomes, des électrons négatifs orbitent autour du noyau concentrant les charges positives. En développant son modèle, il trouve qu’il ne peut exister que certaines orbites stables spatialement, séparées par des zones où il ne peut pas y avoir d’électrons. Les électrons n’orbiteraient pas librement autour du noyau, leur position serait donc « quantifiée »… d’où le futur nom de la physique « quantique ».
[Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui]
Une des conséquences de cette affirmation conduit Niels Bohr et Arnold Sommerfeld à penser qu’en présence d’un champ magnétique, tous les atomes d’un faisceau seront déviés vers deux orientations.
C’est ce que constatent Stern et Gerlach, qui sont dès lors obligés de reconnaître la validité de la théorie de Bohr… ce qui explique pourquoi ils lui envoient leurs félicitations. Néanmoins, en 1927, cette expérience prend un nouveau tournant, puisque Ronald Fraser propose de réinterpréter le résultat de l’expérience de Stern et Gerlach à la lumière d’une nouvelle propriété purement quantique qui vient d’être formalisée : le spin.
Le spin, propriété purement quantique
Ce spin est une propriété dite « quantique » dans la mesure où il ne peut prendre que des valeurs demi-entières de la constante de Planck (h) (-1/2h, 1/2h…) pour les particules de matière (électron, atomes…). Lorsqu’une particule avec un spin non nul interagit avec un champ magnétique, la force que la particule subit est proportionnelle au champ et à la valeur du spin.
Puisque l’atome d’argent possède un spin non nul, il va être dévié dans le champ produit par Stern et Gerlach. C’est en fait la raison aujourd’hui admise pour laquelle il n’y a pas d’atomes au centre de la plaque de droite : les atomes d’argent sont déviés soit à droite soit à gauche en deux zones bien délimitées, en fonction du signe du spin dans cette direction (négatif ou positif). Stern et Gerlach ont donc initialement donné raison à Bohr… pour la mauvaise raison !
La découverte du spin et son étude durant les décennies à venir seront à l’origine d’une nouvelle compréhension de la matière ainsi que de nombreux phénomènes physiques, tels que le magnétisme ou la supraconductivité. La recherche sur le spin contribuera à apporter de nouvelles techniques d’analyse en physique et en chimie, débouchera sur de nombreux développements parmi lesquels l’IRM et les horloges atomiques, et contribuera significativement à l’informatique avec notamment la spintronique.
Adrien Poindron, Ingénieur de recherche, laboratoire de Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires, CNRS, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.