Dans les bronches, l’ingénieuse chorégraphie des microcils pour transporter le mucus

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Etienne Loiseau, Aix-Marseille Université (AMU) et Annie Viallat, Aix-Marseille Université (AMU)

Les maladies respiratoires chroniques, telles que l’asthme, affectent plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde et sont en constante évolution. Elles sont liées à un mécanisme de protection des voies aériennes défaillant, appelé « clairance mucociliaire ».

Lorsque l’on respire, nous inhalons des agents pathogènes comme des bactéries, virus, allergènes et particules de pollution. Une couche de mucus présente sur les parois des bronches forme la première barrière physique pour protéger les voies respiratoires. Le mucus est un fluide viscoélastique et collant qui piège les pathogènes inhalés. Il est continuellement transporté vers la gorge, via le battement de millions de cils microscopiques qui tapissent les bronches, afin d’être évacué (expectoré ou avalé). Ce mécanisme inné est appelé clairance mucociliaire.

Afin de mieux comprendre les mécanismes biophysiques sous-jacents à la clairance mucociliaire, des équipes de physiciens, biologistes et mécaniciens des fluides de l’Université Aix-Marseille ont associé leurs compétences pour répondre à la question suivante : comment des millions de cils vibratiles microscopiques coordonnent-ils le sens de leurs battements pour transporter le mucus dans la bonne direction sur des dizaines de centimètres ?

La densité des cils, facteur déterminant

Pour répondre à cette question, nous avons d’abord reconstitué un épithélium bronchique in vitro grâce à des techniques de culture cellulaire. Le tissu obtenu est composé principalement de cellules multiciliées dont la surface est couverte de 100 à 300 cils et de cellules productrices de mucus, ce qui en fait un modèle d’étude biologiquement pertinent.

Battements ciliaires sur un épithélium bronchique visualisés par vidéo-microscopie à plusieurs grossissements : à l’échelle de quelques milliers de cellules (panneau de gauche) ; à l’échelle de quelques dizaines de cellules (en haut à droite) et à celle d’une cellule multiciliée (en bas à droite).

L’utilisation de la vidéo-microscopie sur ce système permet de mesurer à la fois la vitesse et la distance sur laquelle le mucus est transporté, ainsi que la dynamique des battements ciliaires. On observe alors, en de multiples endroits de la culture cellulaire, l’émergence spontanée de motifs d’écoulements circulaires de mucus appelés vortex.

Le transport de mucus émerge sous forme de vortex à la surface d’une culture d’épithélium bronchique reconstitué in vitro.

Nous avons montré que les vortex de mucus sont associés à un ordre circulaire fort des directions de battements ciliaires sous la surface de la couche de mucus. La taille de ces vortex permet donc de déterminer la distance caractéristique sur laquelle le mucus est transporté de façon coordonnée.

Au cours du développement de l’épithélium bronchique, la taille des vortex augmente avec la densité ciliaire. De quelques dizaines de micromètres en début de développement, jusqu’à l’échelle centimétrique pour des densités ciliaires supérieures à 50 %, comparables à celles de nos bronches.

C’est donc un paramètre critique qui détermine la portée du transport de mucus.

Le transport de mucus organise les cils

L’émergence de tels motifs d’écoulements nous amène à nous poser la question de l’origine du mécanisme physique responsable de l’organisation des battements ciliaires. Les cils sont des structures mécanosensibles (qui ressentent les sollicitations mécaniques) capables de mécano-transduction, c’est-à-dire de convertir un signal mécanique perçu en un signal biochimique à l’intérieur de la cellule pour initier une réponse active.

Notre hypothèse est donc que les interactions hydrodynamiques résultant de l’écoulement du mucus à la surface des cils jouent un rôle dans l’établissement de la direction de battement de ces derniers. Une expérience d’apparence simple va nous permettre de tester cette hypothèse.

Lorsque, sur une culture cellulaire qui comporte un vortex de mucus en rotation sur toute sa surface et donc où les battements ciliaires sont organisés circulairement, on enlève le mucus, alors on observe à l’échelle d’une semaine la perte de l’ordre global des battements ciliaires.

À la place du vortex global se forment de multiples vortex localisés. A contrario, lorsque l’on ajoute du mucus sur cette culture désorganisée, l’organisation circulaire globale des battements ciliaires se recrée en quelques jours, et un vortex de mucus occupe de nouveau la surface de l’épithélium.

Cette expérience révèle que les battements de cils s’alignent en présence du mucus et se désalignent lorsque celui-ci est retiré. L’hydrodynamique organise donc bien les cils à longue portée.

Modélisation numérique du transport du mucus

Pour tester plus en détail le rôle des interactions hydrodynamiques sur la coordination des battements ciliaires, nous avons développé un modèle numérique. Celui-ci comporte deux paramètres importants, mis en évidence par les expériences : la densité ciliaire et la portée des interactions hydrodynamiques, que l’on peut faire varier numériquement.

Pour cela, on pave l’épithélium virtuel avec des cellules ciliées dont le battement des cils met en écoulement le fluide environnant. On résout alors les équations de la mécanique des fluides pour calculer l’écoulement résultant du mucus. De façon similaire aux expériences in vitro, on observe la formation spontanée de petits vortex locaux, dont la taille augmente avec la densité ciliaire que l’on fait varier numériquement.

On remarque en outre une transition entre un état où de nombreux petits vortex sont répartis sur toute la surface de l’épithélium numérique, pour des interactions hydrodynamiques de courte portée, et un état où un vortex global occupe toute la surface lorsque l’on augmente leur portée.

La viscosité du mucus en jeu

Le paramètre de portée des interactions hydrodynamiques fait intervenir la viscosité du mucus. Les simulations numériques révèlent donc que celle-ci, si elle est plus élevée, favorise la coordination des directions des battements ciliaires et ainsi le transport de mucus sur de longues distances.

Cependant, d’un point de vue physiologique, un mucus trop visqueux peut être un problème. Il doit donc exister une gamme de viscosités pour laquelle le mucus est assez visqueux pour générer une coordination efficace des battements ciliaires, mais pas trop afin que la force produite par les cils soit suffisante pour mettre en écoulement le mucus. Les propriétés rhéologiques (viscosité, élasticité) de ce dernier permettant son transport optimal restent encore à déterminer.

Ce travail apporte un nouvel éclairage sur la clairance mucociliaire. L’image habituelle des battements ciliaires qui fixent la direction du transport de mucus est en réalité plus complexe. Localement, les cils propulsent le mucus mais l’écoulement qui en résulte génère à son tour une force sur les cils qui contribue à l’orientation des battements. C’est ce couplage hydrodynamique complexe qui rend le transport du mucus plus efficace le long des bronches.The Conversation

Etienne Loiseau, Chercheur en physique des systèmes vivants, Aix-Marseille Université (AMU) et Annie Viallat, Chercheuse en physique et nano-microingénierie pour le vivant, Aix-Marseille Université (AMU)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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