11.10.18 – Des astrophysiciens de l’EPFL ont participé à la découverte d’un objet rare : une étoile très ancienne et particulièrement pauvre en métaux. Ce témoin d’un passé reculé permet aux chercheurs de comprendre les premières étapes de l’Univers, juste après le Big Bang.
«C’est une découverte majeure, qui interroge nos connaissances en matière de formation des premières étoiles.» Chercheuse au Laboratoire d’astrophysique de l’EPFL (LASTRO), Pascale Jablonka est l’un des membres fondateurs du relevé Pristine, un projet international dédié à la recherche des étoiles les plus vieilles et déficientes en métaux. Récemment, l’une d’elles, un spécimen d’une grande rareté, a pu être identifiée. Baptisée Pristine 221, elle fait partie des dix étoiles les plus pauvres en métaux repérées jusqu’aujourd’hui dans le halo de notre Galaxie. Plus important encore, elle est pratiquement exempte de carbone, ce qui n’avait à ce jour été observé que dans le cas d’une seule autre étoile. La nouvelle a récemment fait l’objet d’une publication dans le journal Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (MNRAS).
Pour étudier l’Univers primitif, les astrophysiciens disposent de plusieurs méthodes. L’une d’elle consiste à regarder le plus loin possible dans l’espace et ainsi aussi dans le temps, afin de pouvoir observer la croissance des galaxies et la naissance des premiers soleils. Une autre est de se concentrer sur les étoiles les plus anciennes de notre Voie lactée. Codirigée par l’Institut de Leibniz pour l’astrophysique à Potsdam (AIP) et le CNRS/INSU, Observatoire astronomique de Strasbourg, le relevé Pristine a opté pour cette dernière stratégie.
Trouver ces témoins d’un si lointain passé n’est pas chose aisée, car la toute première génération d’étoiles a aujourd’hui disparu. Juste après le Big Bang, l’Univers était rempli d’hydrogène, d’hélium et de quelques traces de lithium. Les éléments plus lourds (magnésium, fer, etc.) n’existaient pas encore. Ils n’ont été synthétisés que plus tard, dans les cœurs des premières étoiles et au moment de leurs explosions. Les analyses du spectre lumineux de notre Soleil ont montré que son atmosphère contient environ 2% d’éléments lourds. Ce qui indique qu’il fait partie d’une génération stellaire relativement récente et qu’il s’est donc formé en «recyclant» la matière d’étoiles maintenant disparues.
C’est pourquoi, dans leur recherche des propriétés des premières étoiles, les astrophysiciens cherchent celles qui ont une atmosphère beaucoup plus primitive que celle de notre Soleil. En effet, plus elles seront vierges d’élément lourds, mieux elles traceront les premières étapes de la formation de l’Univers, et en particulier celles de notre Galaxie.
Abondance chimique
L’utilisation d’un filtre spécial à bande étroite sur le télescope Canada-France-Hawaii a permis de présélectionner une série de candidates à une atmosphère particulièrement primitive. Celles-ci ont ensuite fait l’objet d’une analyse spectroscopique détaillée à l’aide des télescopes du groupe Isaac Newton en Espagne (ING ) et de l’Observatoire européen austral (ESO), au Chili. Trois équipes différentes étaient en charge de ces analyses et des mesures d’abondance chimique qui ont mené à la caractérisation de Pristine 221. L’une de ces équipes était formée par les chercheuses Pascale Jablonka et Carmela Lardo du Laboratoire d’Astrophysique de l’EPFL (LASTRO), les deux autres provenant de l’Observatoire de Paris et de l’Instituto de Astrofísica de Canarias.
Le spectre de Pristine 221 montre une atmosphère riche en hydrogène et pauvre en tout autre élément, à part un peu de calcium. Cette absence inhabituelle de métaux indique que cet objet appartient probablement à l’une des premières générations d’étoiles de la galaxie.
«Les abondances chimiques de Pr221 sont de 10’000 à 100’000 fois plus faibles selon l’élément considéré que celles du soleil», relève Else Starkenburg, chercheuse à l’AIP et premier auteur de l’étude. «De plus, elle se distingue par une caractéristique inattendue. En général, les étoiles très pauvres en métaux présentent un taux très élevé de carbone. Ce n’est pas le cas de Pristine 221, ce qui en fait la deuxième de sa sorte et ainsi un précieux témoin de l’univers primitif.»
«Jusque-là, les scientifiques pensaient que le carbone était un agent refroidissant indispensable pour permettre la fragmentation du nuage de gaz dont les étoiles sont issues et plus particulièrement pour la formation de celles qui sont de faible masse, explique Pascale Jablonka. Avec maintenant deux contre-exemples, les modèles vont devoir être revus.» Le voyage ne fait donc que commencer.
Références
« The Pristine Survey IV: Approaching the Galactic metallicity floor with the discovery of an ultra metal-poor star », Else Starkenburg David S. Aguado, Piercarlo Bonifacio, Elisabetta Caffau, Pascale Jablonka, Carmela Lardo, Nicolas Martin, Ruben Sanchez-Janssen, Federico Sestito, Kim A.Venn, Kris Youakim, Carlos Allende Prieto, Anke Arentsen, Marc Gentile, Jonay I. Gonzalez Hernandez, Collin Kielty, Helmer H. Koppelman, Nicolas Longeard, Eline Tolstoy, Raymond G. Carlberg, Patrick Côté, Morgan Fouesneau, Vanessa Hill, Alan W. McConnachie, Julio F. Navarro.
Published in Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Publisher: Oxford University Press.